La Lumière dépensée




« J’adore les commencements, je suis émerveillé par les commencements. [...] Je pense que c’est le commencement qui confirme la suite. Si ce n’était pas le cas, rien ne pourrait être ni ne serait. [...] Dans ma propre quête des commencements, une pensée m’est revenue – suscitée par de nombreuses influences – à savoir que la matière est de la lumière dépensée ».
Louis Kahn [1]


L’exposition emprunte son titre à l’Américain Louis Kahn (1901-1974). Dans « J’aime les commencements » (1972), le célèbre architecte réitère, au fil des pages : « Les montagnes, la terre, les fleuves, l’air et nous-mêmes, sommes tous de la lumière dépensée. » Voire : le résultat d’un « mouvement vers une danse du feu sauvage qui retombe et se refroidit en matière » [2].

Étrangement, se sont mêlés, à la lecture de ces mots, des images de vie et de mort, de photosynthèse végétale, du cycle sans fin du carbone, de la mythologique hybris humaine – le souvenir des catastrophes nucléaires aussi. La référence au photographique, conséquemment : ses multiples déploiements, qu’ils soient physiques ou métaphoriques – une question qui traverse les champs de recherche et de réflexion de PA [3].

« Je perçois la Lumière comme la source de toutes les présences, et le matériau comme de la lumière dépensée. Ce qui est fait par la Lumière projette une ombre, et l’ombre appartient à la Lumière. Je perçois un seuil : de la Lumière au Silence, du Silence à la Lumière – un climat d’inspiration, dans lequel le désir d’être, d’exprimer, croise le possible. » [4]

Dans les écrits de Louis Kahn autant que dans les retranscriptions de ses interventions publiques, reviennent constamment, en leitmotiv, les notions de « silence » et de « lumière ». Elles apparaissent comme deux pôles entre lesquels les êtres seraient en « mouvement ». Et entre ces pôles, il y aurait des « seuils », comme autant de suspens où pourrait advenir la création – dans toutes les acceptions du terme.

« En chacun d’entre nous, il y a un seuil où a lieu la rencontre du silence et de la lumière. Ce seuil, ce point de rencontre, est le lieu (ou l’aura) des inspirations. [...] C’est le faiseur de présences. » [5]

L’exposition La Lumière dépenséetente de rendre compte de quelques-unes de ces présences.

Adoptant un parti-pris visuel des plus graphiques, elle s’attache à mettre en lumière (et en ombre) les relations entre le dessin, l’architecture et le photographique dans les œuvres des six artistes invité-e-s : Benjamin L. Aman, Hervé Bréhier, Leïla Brett, Vincent Chenut, Edith Commissaire, Yann Owens et Sandra Plantiveau.

Il y a des seuils, évidemment. Des seuils, du suspens, du silence et de la lumière. Mais pas seulement. Il y a des traversées du regard, des travellings noirs comme de la poix, des parois de verre sur lesquelles buter, des éclipses et nombre d’autres inversions du cours des choses. Ici, la matière s’organise, se stratifie, se structure, s’architecture ; là, le bâti se dissout, se pulvérise, se liquéfie et redistribue parfois les éléments qui le composent dans des palais de mémoire, des constructions de l’esprit.

Car il est question de mémoire, bien sûr. D’écriture dans l’espace, de transparences impossibles, d’irréductibles opacités, de seuils encore, toujours, du suspens, du silence et de la lumière, mais aussi de prise, de recouvrement, d’arrachement ou encore de combustion. De regards dépensés, en somme.


Marie Cantos & Maryline Robalo (PA | Plateforme de création contemporaine), septembre 2016


[1] Louis Kahn, « J’aime les commencements » (1972) dans Silence et lumière, Paris, Les Éditions du Linteau, 1996, p. 263.
[2] Id., p. 264.
[3] PA | Plateforme de création contemporaine répond à l’invitation de l’ESADHaR à « Dé-faire l’image » dans le cadre d’Art Sequana 2017 au Havre, en proposant Penser à ne pas voir, exposition collective avec Estèla Alliaud, Blanca Casas Brullet et Pascal Navarro (13 janvier-18 février, La Forme, Le Havre).
[4] L. Kahn, « Architecture : silence et lumière » (1970) dans Silence et lumière, op. cit., p. 214.
[5] L. Kahn, « J’aime les commencements », p. 265.