Claire Colin-Collin :
Pour que quelqu’un les ait vues
Pour la 25e édition de L’art dans les chapelles,
du 8 juillet au 18 septembre 2016, dans le Morbihan
Il y a ce rose, dense et éteint, derrière le chœur. Celui des peintures de Claire Colin-Collin, lequel voisine avec un bleu ciel parfois, un kaki lumineux souvent.
Il y a la lente ondulation des murs chaulés, une respiration. « La peau sur les os », précise l’artiste. La peau des choses, toujours. Combien de passages au blanc pour animer de vagues cette surface ? Combien de voiles apposés pour dissimuler les fresques qui, auparavant, ornaient ces lieux ? À croire que le plaisir de chauler n’ait fini par prévaloir, à l’instar de son
geste à elle, lâche et leste à la fois, réitéré plutôt que répété, geste paradoxal dont la mécanique doit s’enrayer, le rythme se dérégler. Où échec et fluidité composent une incessante reprise interrompue.
Il faut l’imaginer auscultant les murs, les sondant mentalement pour faire surgir le souvenir des décors muraux enfouis, et ici également, quoique différemment, « [se] laisser faire la peinture ». Se rappeler que le contact engendre la trace, et la trace le tracé, que les parois se sont ainsi couvertes de peintures dont la signification nous échappe encore, des milliers d’années après. « Pour que quelqu’un les ait vues » propose Marguerite Duras dans son court-métrage Les Mains négatives (1979). Ici, Claire Colin-Collin ne met au jour ni strates de temps chaulé ni mains magdaléniennes posées par les hommes préhistoriques dans les grottes de l’Europe subatlantique – ces mains dites négatives parce que dessinées par leur absence, comme au pochoir. Elle fait, au contraire, remonter à la surface (n’est-ce pas là une des grandes questions de la peinture ?), affleurer une main positive. Une empreinte directe où se lisent quelques lignes de sa paume. Un fragment seulement, démesurément agrandi ; une image inversée, rendue à sa négativité. Un aller-retour dans l’épaisseur du mur, le sens de lecture s’inversant indéfiniment afin de rendre palpable la durée du regard, son suspens.
Ce fragment n’est pas anodin. Il renvoie au geste de l’artiste ainsi qu’à l’iconographie religieuse, du stigmate à l’imposition des mains en passant par les attitudes des figures saintes. Il infuse du sol – image capillaire, hantologique. Mais il dessine aussi le relief d’un paysage accidenté : quelque chose du « bruit de la mer » et de « l’immensité des choses » dont parle Duras. Affranchi des bords de la toile, il livre un échantillon de la structure universelle, le grain de la peau en grain de l’univers.
Face à cette intervention murale, pour l’heure inédite dans son œuvre, des petits formats récents. On prend alors conscience de la dimension existentielle de cette peinture : littérale, concrète, mémorielle, irréductible au sens, irréductible tout-court.
Marie Cantos, mars 2016