Guillaume Constantin :
L’Accident des formes


Pour l’exposition personnelle de Guillaume Constantin,
L’Accident des formes, de juin à juillet 2014, à la galerie Bertrand Grimont [Paris]





Guillaume Constantin est sculpteur, indéniablement. Y compris quand il prélève des fragments de textes dans sa collection de spams, photographie l’apparition fortuite d’un fantôme dans les plis du quotidien, élabore des dispositifs scénographiques pour d’autres artistes. Il est sculpteur en ce sens que tout son travail interroge la plasticité des choses – des objets comme des concepts –, c’est-à-dire la manière dont elles peuvent accueillir et absorber ce que Georges Didi-Huberman nomme, dans son ouvrage Ouvrir Vénus1, « les accidents de la forme ». Des accidents qui déformeraient, transformeraient seulement. Une métamorphose, où la modification ne serait finalement qu’un réagencement des composants n’altérant pas fondamentalement la substance.

L’Accident des formes de Guillaume Constantin évoque d’ailleurs un autre texte de Georges Didi-Huberman : « Connaissance par le kaléidoscope »2. L’auteur y rappelle (entre autres) l’importance de la notion de télescopage chez Walter Benjamin, suggérant à la fois la violence de la collision et la révélation par la vision. Le choc et le télescope ? L’un et l’autre opèreraient le même montage épiphanique en rapprochant instantanément des éléments auparavant éloignés. En les déplaçant, en les arrachant à leur contexte d’origine pour les projeter dans un autre. Un emboutissage : pour aider, un peu, l’emboîtement des idées. Les œuvres de Guillaume Constantin procèdent de ce télescopage ; et le corpus hétérogène d’images, d’objets, de protocoles, de matériaux, avec lequel travaille l’artiste compose une matière extrêmement plastique elle aussi.

Il y a également du kaléidoscope dans les installations ou les expositions de l’artiste. Kaléidoscope : trois miroirs réunis en un triangle enfermé dans un cylindre et quelques insignifiants morceaux de verroterie ou de tissus colorés. Et, à chaque rotation, la destruction de l’ordre puis sa réorganisation. Ici, la réplique d’un pleurant (Jean de Cambrai), un chardon blanchi par le sel et le soleil, des pièces de maquettes jamais montées, un bloc de chocolat comme une mystérieuse pierre3, des ornements typographiques (Open source I et II), la géographie textuelle de la Carte de Tendre, ainsi que des matériaux intermédiaires récurrents tels que cuivre émaillé, liège d’isolation phonique, médium teinté, papier bakélisé, tous, articulent des propositions voire des displays où se rejoue la structure kaléidoscopique.

Cependant, images, objets et références ne tournent jamais en rond. Pas même dans le grand bureau à objets (Fantômes du Quartz XIV), le mouvement arrêté d’un présentoir circulaire (Stop Motion I) ou le livre évidé d’un Everyday Ghost4 mural. Les plis des lés, les biseaux des panneaux et la découpe des pans superposés agissent comme des miroirs où ceux-ci ricochent les uns sur les autres, d’œuvres en œuvres, au-delà des murs de la galerie, sur les expositions passées et à venir. Ils se dispersent alors pour mieux s’immiscer, distribués par un savant feuilletage des formes.


Marie Cantos, juin 2014



1 Georges Didi-Huberman, Ouvrir Venus, Gallimard, Coll. « Le Temps des images  », 1999.
2 Idem, « Connaissance par le kaléidoscope. Morale du joujou et dialectique de l’image selon Walter Benjamin », in : Études photographiques, no 7, mai 2000.
3 Ces pierres que Roger Caillois, dont Guillaume Constantin est un lecteur avide et averti, aimait tant.
4 Série de photographies entamée par l’artiste en 2008.